Titre : |
Le luthiste R. Ballard |
Type de document : |
TEXTES |
Auteurs : |
Michel [Pseud. de Marie BOBILLIER] BRENET |
Note générale : |
Musique ancienne, 23 (juin 1989), p. 70-72 (réédition d'un article publié en 1893) |
Catégories : |
Mots-clés luthiste Personnes concernées BALLARD, Robert
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Note de contenu : |
Le luthiste R. Ballard (texte intégral de l'article) :
Il n'est pas, dans l'histoire des instruments de musique, d'exemples d'une vogue aussi universelle et aussi prolongée que celle du luth, suivie d'un aussi complet oubli. Après avoir régné presque sans partage, pendant un long espace de temps, sur toute l'Europe musicale, après avoir été cultivé en tous pays par les plus habiles artistes et les plus brillants amateurs, après avoir produit une littérature très considérable, le luth se vit remplacer dans la faveur publique par des instruments qui avaient grandi à son ombre, mais qui avaient progressé, pendant qu'il restait stationnaire. A la fin du XVIIe siècle ou au commencement du XVIIIe, luths et luthistes disparurent, et d'une façon si complète que leur souvenir lui-même s'effaça, comme s'était évanouie la sonorité faible et charmante de cet instrument délicat. On en vint à démonter les vieux luths des facteurs les plus estimés, pour les travestir en théorbes, en vielles, ou pour leur reprendre leurs tables de bois précieux, leurs rosaces, leurs chevillers incrustés d'or, d'argent ou de nacre; on en vint en même temps à jeter au feu les vieux livres notés en tablature de luth, devenus indéchiffrables autant qu'inutiles aux nouveaux virtuoses du clavecin ou du violon. Ainsi se fit qu'au bout d'un siècle le fil conducteur de l'histoire du luth fut perdu, et avec lui celui d'un des plus importants chapitres de l'histoire de la musique instrumentale. De nos jours, quelques chercheurs ont commencé à reconstituer ce chapitre plein d'obscurités et de lacunes ; le premier résultat de leurs efforts a été de faire replacer en évidence, dans les musées d'instruments, les rares luths d'Allemagne ou de Bologne qui existent encore, et dans les bibliothèques musicales, les livres de tablature, si recherchés aujourd'hui, qu'ils atteignent, dans le commerce de l'ancienne musique, des prix extrêmement élevés.
Il y a encore fort à faire avant d'avoir rassemblé tous les matériaux de cette histoire, ou seulement d'avoir catalogué tous ces livres. Nous réunissons ici quelques traits du portrait, vague et indécis comme un vieux pastel effacé, d'un virtuose français du temps d'Henri IV et Louis XIII, le luthiste Ballard.
On le connaît aujourd'hui si peu que l'on ne sait ni son prénom, ni le moment exact de sa vie, ni le titre de son ouvrage. Cependant il fut en son vivant célèbre, non pas seulement en France, mais dans toute l'Europe musicale. Severo Bonini, qui écrivait en Italie, dans la première moitié du XVIIe siècle, mentionnait « Monsu Ballard, Français », parmi les instrumentistes fameux de son temps (1). Le Franc-Comtois J.-B. Besard le plaçait au nombre des vingt luthistes dont il insérait des compositions dans son grand recueil intitulé Thesaurus harmonicus, imprimé à Cologne en 1603 ; il l'y appelait simplement «Balardus Parisiensis». En 1636, le P. Mersenne, dans son Harmonie universelle, donnait pour exemple de notation en tablature de luth une « courante sur le vieil ton, de M Ballard (2) ».
Dans tout ceci, la personnalité de ce Ballard reste indécise. Une courte mention du médecin chroniqueur Héroard le montre enseignant son instrument au jeune roi Louis XIII ; à la date du 1er septembre 1612, il dit, en parlant de ce pnnce: «Il commence à apprendre à jouer du luth par Ballard». M Pougin est parti de là pour supposer que ce luthiste pouvait être Pierre Ballard, l'imprimeur de musique (3). Fétis, lui, avait choisi l'ortographe du Thesaurus de Besard, et donné à l'artiste le prénom de Jean. Son article est ainsi conçu : « Balard (Jean), habile joueur de luth, vers la fin du XVIe siècle, dont Besard a inséré quelques pièces dans son Thesaurus harmonicus (4). Or, Besard ne donne au virtuose français aucun prénom, et il ne produit de lui qu'un seul morceau une gaillarde, « Galiarda Balardi vulgo passionata (5). » Son autorité relativement au prénom n'aurait d'ailleurs pas été infaillible, puisqu'il appelle Jean le luthiste Valentin Bacfarc.
Un autre témoignage, peut-être de plus de poids, serait celui du luthiste J. Gaultier, qui parle de« Jean Ballard dans une de ses lettres à Constantin Huygens. II écrit de Londres, en 1647, a propos d'une acquisition d'instrument: « Je vous diray donc, touchant le luth que vous désirez avoir de moy Madame Staford m'en a parlé sans rien conclure, estant malaisé si vous n'entendez mes raisons. Ledit luth a esté choisi d'une quantité d'autres venant de Bolonnie (Bologne), et le seul de Laux Mailer, mort cent cinquante ans passés,et achetté par un nommé Jean Ballard, joueur de luth de S.M, et luy acou te 60 pistolles, le corps et la table seulement; depuis l'ayant fait accommoder et apporté en Angleterre durant la vie dudit Jean Ballard, jamais le roy ne sceut avoir ledit luth pour aucun argent ou menace que ce fût. L'homme venant à mourir et le luth est demeuré entre les mains de quelques pauvres parents qui, après plusieurs debats et marchés, a-t-on donné cent livres esterlin. Et après le Roy me l'a donné, qui est la seule chose que j'ayde reste après trente années de service... (6) ».
A moins que, chose peu probable, il n'ait existé en même temps deux luthistes de la même famille, le recueil des pièces de luth de Ballard ne permet pas d'accepter le prénom de Jean : l'initiale R doit le remplacer. Ce recueil est resté jusqu'ici inconnu, ou du moins nos recherches pour en trouver une mention dans les publications des historiens du luth et des bibliographes musicaux sont demeurées vaines. Comme pour maintenir sur notre luthiste une constante indécision, le sort: a voulu que le seul exemplaire conservé de son unique ouvrage fut privé de son feuillet de titre.
C'est à bibliothèque Mazarine, à Paris, que nous l'avons découvert. Si le titre y fait défaut on y trouve la dédicace à la reine régente, signée R. Ballard et un petit avis au lecteur, portant la même signature. le privilège, place a la fin du volume, est date du 16 octobre 1611 et donne à l'imprimeur Pierre Ballard la permission d'imprimer, vendre et distribuer « toute sorte de musique, tant vocale qu'instrumentale, de quelque auteur que ce soit, nommément de R. Ballard ».
La reine régente à laquelle l'ouvrage est offert est la veuve de Henri IV Marie de Médicis, dont la régence prit fin en 1614 ; il faut donc placer entre 1611 et 1614 la publication du volume. Il est formé de quatre-vingt douze pages In-folio, qui contiennent soixante et quatorze morceaux, tous de Ballard, notés en tablature française, pour un luth seul Toutes ces pièces sont des « entrées », des « courantes » et des « voltes ». Quelques unes portent le titre du ballet de cour dans lequel elles étaient placées : Ballet de M. le Dauphin, ballet de la reine, ballets des esclaves, des contrefaits d'amour, des incensés, des dieux, des manants. Le premier de ces ballets, celui du Dauphin, fut danse a la cour en 1610, celui de la reine, en 1609. Paul Lacroix place en 1630 et 1631 deux ballets « des esclaves » et « des dieux » : il est à présumer qu'il s'agit, à cette date, d'autres ouvrages que ceux pour lesquels notre luthiste composa des airs.
Les ballets de cour, très nombreux dès cette époque, présentaient ordinairement, quant au sujets, un « mélange de scènes informes, mal liées les unes aux autres ». Il en était à peu près de même de la musique : on la formait souvent à la hà te, de morceaux hétérogènes demandés ou empruntés à plusieurs musiciens. Guesdron, sous Henri IV, et Antoine Boesset, un peu plus tard, fournissaient la plupart des airs chantés: on en retrouve un grand nombre dans les recueils d'Airs de cour. Il y avait, en outre, des pièces instrumentales, accompagnant les entrées ou les pas des divers personnages, et qui étaient tantôt exécutées par une sorte d'orchestre de danse, tantôt jouées par un groupe d'instruments choisis, ou par un seul virtuose. C'est dans ce dernier ordre de morceaux que se classent les compositions de Ballard pour le luth. Il est infiniment probable qu'il les interprétait lui-même, en présence du jeune roi, son élève, et de la reine régente à laquelle il les dédia, « pour montrer, dit-il à la postérité que les moindres de vos passe-temps sont très louables, et contribuent grandement à la vertu » : conclusion assez inattendue à tirer d'un recueil d'airs de danse.
Après les fragments des ballets de cour, on remarque encore, dans le livre de luth de Ballard, une série de dix pièces intitulées « les favorites d'Angélique » qui rappellent quelques épisodes de l'histoire de la cour d'Henri IV. Angélique Paulet était une « précieuse » célèbre par sa beauté, sa grâce et son talent de cantatrice et de luthiste; fille d'un secrétaire du roi et élève de Guesdron, elle avait en 1609, rempli le rôle d'Amphitrite, dans le ballet de la reine, à l'admiration de toute la cour, chantant et s'accompagnant du luth, avec une « assurance et une justesse merveilleuses ». Il était très naturel que Ballard plaçât sous son nom des morceaux que, sans doute, elle avait joués, et dont peut-être elle avait fait le succès.
Pour résumer tout ceci en peu de lignes et fournir un projet d'article à quelque futur continuateur de Fétis, nous dirons que le luthiste parisien R. Ballard, allié sans aucun doute à la famille des imprimeurs du même nom, et portant vraisemblablement, comme plusieurs d'entre eux, le prénom de Robert, vivait à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII ; qu'en 1603 il était assez connu déjà pour que Besard recueillit de lui une gaillarde; qu'entre 1611 et 1614, il fit paraître lui-même, chez son parent Pierre Ballard, un livre de soixante-quatorze pièces de luth; qu'il vivait probablement encore en 1636, époque ou le P. Mersenne insérait de lui une courante dans son Harmonie-universelle ; qu'il fit un séjour en Angleterre, et mourut plusieurs années avant 1647, selon qu'en témoigne la lettre de J. Gaultier, citée plus haut, qui toutefois lui donne le prénom de Jean.
(1) Voyez LA FAGE, Diphthérographie musicale, p.178.
(2) Harmonie universelle, traité des instruments à cordes, p.86.
(3) Supplément à la Biographie des musiciens, t.1er, p.39.
(4) Biographie des musiciens, t.1er, p.226.
(5) Thesauris, fol 113 vo.
(6) Correspondance et oeuvres musicales de C. Huygens, P. ccx. |
Permalink : |
https://bibliotheque.cmbv.fr/index.php?lvl=notice_display&id=16566 |
Le luthiste R. Ballard [TEXTES] / Michel [Pseud. de Marie BOBILLIER] BRENET . - [s.d.]. Musique ancienne, 23 (juin 1989), p. 70-72 (réédition d'un article publié en 1893)
Catégories : |
Mots-clés luthiste Personnes concernées BALLARD, Robert
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Note de contenu : |
Le luthiste R. Ballard (texte intégral de l'article) :
Il n'est pas, dans l'histoire des instruments de musique, d'exemples d'une vogue aussi universelle et aussi prolongée que celle du luth, suivie d'un aussi complet oubli. Après avoir régné presque sans partage, pendant un long espace de temps, sur toute l'Europe musicale, après avoir été cultivé en tous pays par les plus habiles artistes et les plus brillants amateurs, après avoir produit une littérature très considérable, le luth se vit remplacer dans la faveur publique par des instruments qui avaient grandi à son ombre, mais qui avaient progressé, pendant qu'il restait stationnaire. A la fin du XVIIe siècle ou au commencement du XVIIIe, luths et luthistes disparurent, et d'une façon si complète que leur souvenir lui-même s'effaça, comme s'était évanouie la sonorité faible et charmante de cet instrument délicat. On en vint à démonter les vieux luths des facteurs les plus estimés, pour les travestir en théorbes, en vielles, ou pour leur reprendre leurs tables de bois précieux, leurs rosaces, leurs chevillers incrustés d'or, d'argent ou de nacre; on en vint en même temps à jeter au feu les vieux livres notés en tablature de luth, devenus indéchiffrables autant qu'inutiles aux nouveaux virtuoses du clavecin ou du violon. Ainsi se fit qu'au bout d'un siècle le fil conducteur de l'histoire du luth fut perdu, et avec lui celui d'un des plus importants chapitres de l'histoire de la musique instrumentale. De nos jours, quelques chercheurs ont commencé à reconstituer ce chapitre plein d'obscurités et de lacunes ; le premier résultat de leurs efforts a été de faire replacer en évidence, dans les musées d'instruments, les rares luths d'Allemagne ou de Bologne qui existent encore, et dans les bibliothèques musicales, les livres de tablature, si recherchés aujourd'hui, qu'ils atteignent, dans le commerce de l'ancienne musique, des prix extrêmement élevés.
Il y a encore fort à faire avant d'avoir rassemblé tous les matériaux de cette histoire, ou seulement d'avoir catalogué tous ces livres. Nous réunissons ici quelques traits du portrait, vague et indécis comme un vieux pastel effacé, d'un virtuose français du temps d'Henri IV et Louis XIII, le luthiste Ballard.
On le connaît aujourd'hui si peu que l'on ne sait ni son prénom, ni le moment exact de sa vie, ni le titre de son ouvrage. Cependant il fut en son vivant célèbre, non pas seulement en France, mais dans toute l'Europe musicale. Severo Bonini, qui écrivait en Italie, dans la première moitié du XVIIe siècle, mentionnait « Monsu Ballard, Français », parmi les instrumentistes fameux de son temps (1). Le Franc-Comtois J.-B. Besard le plaçait au nombre des vingt luthistes dont il insérait des compositions dans son grand recueil intitulé Thesaurus harmonicus, imprimé à Cologne en 1603 ; il l'y appelait simplement «Balardus Parisiensis». En 1636, le P. Mersenne, dans son Harmonie universelle, donnait pour exemple de notation en tablature de luth une « courante sur le vieil ton, de M Ballard (2) ».
Dans tout ceci, la personnalité de ce Ballard reste indécise. Une courte mention du médecin chroniqueur Héroard le montre enseignant son instrument au jeune roi Louis XIII ; à la date du 1er septembre 1612, il dit, en parlant de ce pnnce: «Il commence à apprendre à jouer du luth par Ballard». M Pougin est parti de là pour supposer que ce luthiste pouvait être Pierre Ballard, l'imprimeur de musique (3). Fétis, lui, avait choisi l'ortographe du Thesaurus de Besard, et donné à l'artiste le prénom de Jean. Son article est ainsi conçu : « Balard (Jean), habile joueur de luth, vers la fin du XVIe siècle, dont Besard a inséré quelques pièces dans son Thesaurus harmonicus (4). Or, Besard ne donne au virtuose français aucun prénom, et il ne produit de lui qu'un seul morceau une gaillarde, « Galiarda Balardi vulgo passionata (5). » Son autorité relativement au prénom n'aurait d'ailleurs pas été infaillible, puisqu'il appelle Jean le luthiste Valentin Bacfarc.
Un autre témoignage, peut-être de plus de poids, serait celui du luthiste J. Gaultier, qui parle de« Jean Ballard dans une de ses lettres à Constantin Huygens. II écrit de Londres, en 1647, a propos d'une acquisition d'instrument: « Je vous diray donc, touchant le luth que vous désirez avoir de moy Madame Staford m'en a parlé sans rien conclure, estant malaisé si vous n'entendez mes raisons. Ledit luth a esté choisi d'une quantité d'autres venant de Bolonnie (Bologne), et le seul de Laux Mailer, mort cent cinquante ans passés,et achetté par un nommé Jean Ballard, joueur de luth de S.M, et luy acou te 60 pistolles, le corps et la table seulement; depuis l'ayant fait accommoder et apporté en Angleterre durant la vie dudit Jean Ballard, jamais le roy ne sceut avoir ledit luth pour aucun argent ou menace que ce fût. L'homme venant à mourir et le luth est demeuré entre les mains de quelques pauvres parents qui, après plusieurs debats et marchés, a-t-on donné cent livres esterlin. Et après le Roy me l'a donné, qui est la seule chose que j'ayde reste après trente années de service... (6) ».
A moins que, chose peu probable, il n'ait existé en même temps deux luthistes de la même famille, le recueil des pièces de luth de Ballard ne permet pas d'accepter le prénom de Jean : l'initiale R doit le remplacer. Ce recueil est resté jusqu'ici inconnu, ou du moins nos recherches pour en trouver une mention dans les publications des historiens du luth et des bibliographes musicaux sont demeurées vaines. Comme pour maintenir sur notre luthiste une constante indécision, le sort: a voulu que le seul exemplaire conservé de son unique ouvrage fut privé de son feuillet de titre.
C'est à bibliothèque Mazarine, à Paris, que nous l'avons découvert. Si le titre y fait défaut on y trouve la dédicace à la reine régente, signée R. Ballard et un petit avis au lecteur, portant la même signature. le privilège, place a la fin du volume, est date du 16 octobre 1611 et donne à l'imprimeur Pierre Ballard la permission d'imprimer, vendre et distribuer « toute sorte de musique, tant vocale qu'instrumentale, de quelque auteur que ce soit, nommément de R. Ballard ».
La reine régente à laquelle l'ouvrage est offert est la veuve de Henri IV Marie de Médicis, dont la régence prit fin en 1614 ; il faut donc placer entre 1611 et 1614 la publication du volume. Il est formé de quatre-vingt douze pages In-folio, qui contiennent soixante et quatorze morceaux, tous de Ballard, notés en tablature française, pour un luth seul Toutes ces pièces sont des « entrées », des « courantes » et des « voltes ». Quelques unes portent le titre du ballet de cour dans lequel elles étaient placées : Ballet de M. le Dauphin, ballet de la reine, ballets des esclaves, des contrefaits d'amour, des incensés, des dieux, des manants. Le premier de ces ballets, celui du Dauphin, fut danse a la cour en 1610, celui de la reine, en 1609. Paul Lacroix place en 1630 et 1631 deux ballets « des esclaves » et « des dieux » : il est à présumer qu'il s'agit, à cette date, d'autres ouvrages que ceux pour lesquels notre luthiste composa des airs.
Les ballets de cour, très nombreux dès cette époque, présentaient ordinairement, quant au sujets, un « mélange de scènes informes, mal liées les unes aux autres ». Il en était à peu près de même de la musique : on la formait souvent à la hà te, de morceaux hétérogènes demandés ou empruntés à plusieurs musiciens. Guesdron, sous Henri IV, et Antoine Boesset, un peu plus tard, fournissaient la plupart des airs chantés: on en retrouve un grand nombre dans les recueils d'Airs de cour. Il y avait, en outre, des pièces instrumentales, accompagnant les entrées ou les pas des divers personnages, et qui étaient tantôt exécutées par une sorte d'orchestre de danse, tantôt jouées par un groupe d'instruments choisis, ou par un seul virtuose. C'est dans ce dernier ordre de morceaux que se classent les compositions de Ballard pour le luth. Il est infiniment probable qu'il les interprétait lui-même, en présence du jeune roi, son élève, et de la reine régente à laquelle il les dédia, « pour montrer, dit-il à la postérité que les moindres de vos passe-temps sont très louables, et contribuent grandement à la vertu » : conclusion assez inattendue à tirer d'un recueil d'airs de danse.
Après les fragments des ballets de cour, on remarque encore, dans le livre de luth de Ballard, une série de dix pièces intitulées « les favorites d'Angélique » qui rappellent quelques épisodes de l'histoire de la cour d'Henri IV. Angélique Paulet était une « précieuse » célèbre par sa beauté, sa grâce et son talent de cantatrice et de luthiste; fille d'un secrétaire du roi et élève de Guesdron, elle avait en 1609, rempli le rôle d'Amphitrite, dans le ballet de la reine, à l'admiration de toute la cour, chantant et s'accompagnant du luth, avec une « assurance et une justesse merveilleuses ». Il était très naturel que Ballard plaçât sous son nom des morceaux que, sans doute, elle avait joués, et dont peut-être elle avait fait le succès.
Pour résumer tout ceci en peu de lignes et fournir un projet d'article à quelque futur continuateur de Fétis, nous dirons que le luthiste parisien R. Ballard, allié sans aucun doute à la famille des imprimeurs du même nom, et portant vraisemblablement, comme plusieurs d'entre eux, le prénom de Robert, vivait à la cour de France sous Henri IV et Louis XIII ; qu'en 1603 il était assez connu déjà pour que Besard recueillit de lui une gaillarde; qu'entre 1611 et 1614, il fit paraître lui-même, chez son parent Pierre Ballard, un livre de soixante-quatorze pièces de luth; qu'il vivait probablement encore en 1636, époque ou le P. Mersenne insérait de lui une courante dans son Harmonie-universelle ; qu'il fit un séjour en Angleterre, et mourut plusieurs années avant 1647, selon qu'en témoigne la lettre de J. Gaultier, citée plus haut, qui toutefois lui donne le prénom de Jean.
(1) Voyez LA FAGE, Diphthérographie musicale, p.178.
(2) Harmonie universelle, traité des instruments à cordes, p.86.
(3) Supplément à la Biographie des musiciens, t.1er, p.39.
(4) Biographie des musiciens, t.1er, p.226.
(5) Thesauris, fol 113 vo.
(6) Correspondance et oeuvres musicales de C. Huygens, P. ccx. |
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